
Les BRICS et la Suisse, entre aspirations et réalité

Quelle est la portée du groupe des pays BRICS et quelle devrait être la position de la Suisse à leur égard? Les avis divergent.
Depuis près de deux décennies, le groupe des BRICS tente de bouleverser la politique internationale. Lors de ses sommets, ce «simple regroupement d’États», comme le décrit un rapport du Département fédéral des affaires étrangères, «propage et met adroitement en scène» une «vision du monde et l’image de lui-même» qui séduit les pays émergents et en développement: celle d’un «ordre mondial» devant être adapté aux nouveaux centres du pouvoir.
Le terme BRICS a justement été inventé en 2001 par un économiste de la banque d’Lien externeinvestissement américaine Goldman Sachs, lequel, avec le slogan «Building Better Economic BRICs», a attiré l’attention sur la croissance économique et l’importance du Brésil, de la Russie, de l’Inde et de la Chine. Le premier sommet des BRICS s’est tenu près d’une décennie plus tard à Ekaterinbourg, en Russie, pendant la crise financière de 2009 – l’Afrique du Sud les a rejoints l’année suivante.
Attention toutefois à ne pas sous-estimer ce groupe d’États, avertit le conseiller politique suisse Remo Reginold. Lui voit au contraire dans les BRICS «le symbole d’une évolution qui annonce une nouvelle ère dans la politique mondiale».
Pour les décrire, il préfère parler de «conglomérat»: un assemblage de matériaux de structure, de taille et de propriétés diverses, maintenus ensemble par une matrice. À savoir la volonté commune de briser la domination occidentale dans le monde.
Les BRICS réclament notamment une réforme de l’ONU et des institutions de Bretton Woods que sont le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale. Ils souhaitent en particulier que les intérêts du Sud soient mieux représentés.
Pour le conseiller politique, «la Suisse, et l’Occident en général», doivent apprendre «à comprendre les BRICS et à interpréter correctement leurs signaux». Prisme occidental oblige, le fonctionnement des réseaux informels du groupe n’a été que trop peu étudié jusqu’à présent. Or, si la Suisse se montre habile, met à profit ses réseaux, sa flexibilité et ses intérêts, «elle aurait même le potentiel de devenir un pont entre le Nord et le Sud», estime Remo Reginold. Mais cela passe aussi par la coopération au développement, domaine dans lequel la Suisse, comme beaucoup de pays occidentaux, réduit ses efforts à l’heure actuelle.
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D’autres spécialistes suisses leur accordent moins d’importance. En 2024, le think tank Avenir Suisse parlait d’une «agitation sur les BRICS». Les auteurs, Eveline Hutter et Simon Stocker, reconnaissent que «les pays non occidentaux ont développé une nouvelle conscience», mais soulignent qu’«au-delà de la rhétorique, (…) la croissance des BRICS (…) a surtout été portée par la Chine» et que «le développement des autres États est moins enthousiasmant». Ils soulignent également les nombreuses divergences, voire contradictions, au sein du groupe. Certains membres ont ainsi un passé bilatéral tendu, comme la Chine et l’Inde.
Selon l’analyse d’Avenir Suisse, il est «quasiment exclu que les BRICS évoluent en un bloc de pouvoir résolument hostile à l’Occident». La Suisse, estime le groupe de réflexion, devrait néanmoins suivre leur évolution de près.
À l’international, des experts considèrent eux aussi les BRICS moins comme des rivaux de l’Occident que comme une plateforme complémentaire. Pour Kai Michael Kenkel, de l’Université pontificale catholique de Rio de Janeiro, tout dépend de l’attitude de l’Occident: est-il prêt à mener les réformes exigées et à donner davantage voix au chapitre au Sud global?
Le professeur cite un large éventail de domaines, allant de l’infrastructure financière à la coopération au développement, dans lesquels l’Occident a intérêt à agir. «S’il s’abstient de le faire, les pays du BRICS qui aspirent à un abandon complet de l’ordre mondial occidental pourraient s’imposer.» Dès lors, estime-t-il, «les réformes sont certainement la meilleure alternative pour l’Occident». Mais Kai Michael Kenkel souligne lui aussi l’hétérogénéité interne du groupe d’États, tant en matière de valeurs que de forme de gouvernement. Les pays qui s’estimaient plutôt proches des valeurs occidentales, comme le Brésil, se sentent de plus en plus marginalisés. «Au Brésil, on s’inquiétait beaucoup du fait que depuis l’élargissement des BRICS, les États autoritaires sont majoritaires.» De quoi conduire à une division politique marquée au sein du groupe et à l’absence d’une boussole stratégique commune.
Jagannath Panda, directeur du Centre de Stockholm pour les affaires sud-asiatiques et indo-pacifiques, prend l’exemple de son pays, l’Inde, pour souligner les risques qu’impliquerait une formalisation par les BRICS de leur institution: «La Chine est pour nous à la fois un rival et notre principal partenaire commercial.» Si beaucoup considèrent les BRICS comme un projet piloté par la Chine, l’Inde les voit comme un élément important de sa stratégie de politique étrangère. «L’Inde considère avant tout les BRICS comme une base multipolaire lui permettant d’étendre son influence économique dans le Sud global, y compris au Moyen-Orient et au-delà», explique Jagannath Panda.
L’Inde peut à nouveau tirer profit des matières premières russes, tant pour son propre usage que pour la revente à des pays occidentaux qui, en raison des sanctions, ne peuvent plus acheter de pétrole russe directement. La guerre en Ukraine influence ainsi le renforcement de la coopération entre la Russie et les BRICS.
La Suisse a-t-elle une importance pour les BRICS?
Les BRICS présentant parfois de grandes différences, leurs relations avec chaque État doivent être examinées au cas par cas. Selon Jagannath Panda, «la Suisse est perçue par les BRICS comme un pays neutre. De nombreux États ont donc tendance à entretenir des relations neutres avec elle.» De quoi augmenter la marge de manœuvre en matière de coopération.
Avec son absence de passé colonial et sa position de non-alignement, la Suisse n’est pas à l’origine de la frustration qui a conduit à la création des BRICS, souligne Jagannath Panda. Du fait de sa haute densité démographique, l’Inde, par exemple, s’intéresse beaucoup à l’expertise de la Suisse dans des domaines tels que la technologie, l’éducation ou encore l’organisation de conférences.
Kai Michael Kenkel donne, lui, l’exemple du Brésil, pour lequel la Suisse «est avant tout un partenaire dans les domaines à haute valeur ajoutée».

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Comment la Suisse doit-elle aborder les BRICS?
La Suisse entretient des relations bilatérales avec chacun de ces pays et reconnaît «l’importance croissante des pays BRICS», comme l’indique le rapport sur la politique extérieure 2024. Cependant, leur rôle purement économique est pour elle «plutôt faible»: début 2025, «en dépit de leur croissance mondiale, les BRICS jouent toujours un rôle de second plan dans le commerce extérieur suisse, puisque leur part, dominée par la Chine, n’est que de 12%», souligne le rapport. À titre de comparaison, les relations commerciales de la Suisse avec l’UE (52% environ) et les États-Unis (17% environ) sont nettement plus importantes.
Reste que, indépendamment de la balance commerciale extérieure, la Suisse officielle constate un glissement géopolitique vers les pays du BRICS. Le groupe dispose «d’un pouvoir politique et économique suffisant pour donner de la crédibilité à la thèse selon laquelle les pays occidentaux auparavant dominants perdent en importance au profit des nouveaux pays émergents à la forte croissance économique».
Selon la Confédération, il serait «erroné de donner une évaluation purement négative de l’exigence grandissante qu’ont les BRICS de façonner l’ordre mondial». Mais il est crucial que les États membres ne se contentent pas «de réclamer une plus grande participation et une part de responsabilité plus importante dans la gouvernance mondiale, mais assument véritablement cette responsabilité». Avec le risque de voir la démocratie et les droits de l’homme «remis en question, réinterprétés ou relégués au second plan par la géopolitique».
Le Conseil fédéral entend répondre à ces évolutions en contribuant au renforcement du système multilatéral. «Il compte notamment attirer l’attention sur la primauté du droit international», indique le rapport de politique extérieure.
Relu et vérifié par Giannis Mavris, traduit de l’allemand par Albertine Bourget/ptur
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