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Smartvote ou comment une idée suisse fait évoluer la démocratie japonaise

Des affiches électorales à Tokyo. Lors des élections de fin juillet prochain, le Parti libéral-démocrate, qui domine la vie politique, pourrait perdre son leadership à la Chambre haute.
Des affiches électorales à Tokyo. Lors des élections de fin juillet prochain, le Parti libéral-démocrate, qui domine la vie politique, pourrait perdre son leadership à la Chambre haute. Copyright 2024 The Associated Press. All Rights Reserved

Au Japon, le Parti libéral-démocrate domine la vie politique depuis des décennies. L’introduction d’outils numériques d’aide au vote pourrait toutefois changer la donne. 

Alors que les cerisiers sont en fleur, le campus de l’Université Waseda à Tokyo, plus grande ville au monde avec sa population de 40 millions d’âmes, est en effervescence. La première semaine du semestre, on se croirait dans une fête foraine avec des étudiantes et étudiants de longue date vantant auprès des nouveaux inscrits, dix mille environ, la panoplie des activités à exercer ici en parallèle aux études. Des cours de comédie, d’aïkido ou de jazz. Ou adhérer sinon à des associations queer, des cellules d’études du communisme ou des thés philosophiques.

Le campus de la prestigieuse Université Waseda à Tokyo est très animé en ce début de semestre.
Le campus de la prestigieuse Université Waseda à Tokyo est très animé en ce début de semestre. SWI swissinfo.ch/Bruno Kaufmann

«Dès mon entrée à Waseda, je me suis engagé dans un club politique», atteste pour sa part Kentaro Kikuchi, 22 ans, étudiant en sciences politiques de 4e année. Nous sommes dans le bureau du professeur Airo Hino au 12e étage du bâtiment principal de l’université. Et c’est par zoom que Kentaro Kikuchi et un autre étudiant, Yuta Suzuki, 23 ans, dialoguent devant nous. «Nous nous préparons pour les prochaines élections législatives et parlons des principaux critères pour aider à voter en ligne», décrit Airo Hino.   

Composée de 248 élu-es, la moitié de la Chambre haute du parlement japonais (Sangi-in) doit être renouvelée fin juillet. Le professeur et les étudiantes et étudiants de sa faculté aident depuis plus d’une dizaine d’années les personnes intéressées à se préparer en vue de scrutins au travers d’une plateforme en ligne de type Smartvote, mais dont l’appellation est ici «Vote Match». Airo Hino et son équipe analysent les programmes des partis en lice et les déclarations des papables. Sont ensuite sélectionnées plusieurs dizaines de questions parlant au corps électoral. Ces outils sont mis à disposition par des médias comme le quotidien Yomiuri.  

Dans le cadre d’élections, les outils d’assistance en ligne tels que Smartvote présentent les principaux thèmes des campagnes au corps électoral. Ces systèmes, importants pour le bon fonctionnement de la démocratie, requièrent de la transparence tout en incitant à aller voter, l’objectif étant d’obtenir de meilleurs taux de participation et une plus grande légitimité des scrutins. Smartvote met en lien les électrices et électeurs avec des candidat-es et/ou partis partageant leurs positions.

Les votant-es doivent créer leur profil politique en remplissant d’abord un questionnaire standard comprenant entre 30 et 75 questions sur différents thèmes d’actualité. Ces profils sont comparés ensuite à ceux des candidat-es et/ou partis qui se présentent. Dès que le questionnaire est rempli, les électrices et électeurs reçoivent une liste des candidat-es et partis en fonction de leur compatibilité avec leurs profils, par ordre décroissant.

Depuis 25 ans, ce sont plus de 250 scrutins qui ont été accompagnés par SmartvoteLien externe en Suisse. Selon le Consortium européen pour la recherche politique ECPRLien externe, cette offre est utilisée par environ 1/5 du corps électoral et près de neuf candidat-es sur dix. Faisant partie de l’attirail numérique propre à la démocratie, ces aides gagnent en importance non seulement en Suisse, mais aussi dans l’UE, Lien externeaux ÉtatsLien externe-Unis, au KosovoLien externe, et au Japon.

Les principales sources d’information nécessaires pour élaborer ces questions sont précisément identifiées dans le bureau du professeur Hino. «Nous examinons les programmes des formations politiques, leurs promesses électorales, leurs candidat-es. Et sommes attentifs aussi aux articles qui paraissent dans la presse et aux médias sociaux», assure-t-il.    

Le professeur Airo Hino dans son bureau à l'Université Waseda.
Le professeur Aino Hino dans son bureau à l’Université Waseda. SWI swissinfo.ch/Bruno Kaufmann

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Comme son ami étudiant Kentaro Kikuchi, Yuta Suzuki avait participé auparavant à un stage auprès d’un politicien de la place dans le cadre de ses études. Il se réjouit désormais que les jeunes qui votent utilisent de plus en plus cette méthode. «Voilà qui démontre à quel point il est important dans une démocratie comme la nôtre d’être bien informé pour faire des choix éclairés», ajoute-t-il. Et précise que «des applications sur smartphone comme Vote Match permettent aux personnes qui ne suivent pas obligatoirement la campagne et les débats de se forger une opinion».

À l’image d’autres démocraties bien établies, le Japon souffre d’un taux de participation faible parmi les jeunes en comparaison aux personnes âgées. Lors des dernières élections pour le renouvellement de la Chambre basse, les électrices et électeurs de plus de 70 ans ont voté aux deux tiers contre un peu plus d’un tiers seulement chez les moins de 30 ans. Selon une étudeLien externe mandatée par le ministère japonais de l’Intérieur, le fait d’avoir abaissé l’âge du droit de vote de 20 à 18 ans, couplé à une offre incluant le vote en ligne, a permis d’inverser la tendance chez les plus jeunes. Ainsi, plus de la moitié des jeunes de 18 ans ont participé aux dernières élections nationales.

Seulement 2% des communes dirigées par des femmes

Au niveau local, un vent plus démocratique soufflerait également. Lors de la dernière élection à la mairie de Suginami, une ville de 583’000 habitant-es, le corps électoral a pour la première fois élu une femme à la fonction suprême. Et la moitié des 48 sièges du législatif sont occupés désormais par des femmes. «Durant ma campagne, je me suis beaucoup adressé aux jeunes via les médias sociaux», explique à swissinfo.ch la maire élue de Suginami, Satoko Kishimoto, depuis le bureau de son mouvement citoyen.

Satoko Kishimoto
La maire de Suginami, Satoko Kishimoto, fait pression pour l’introduction d’aides au vote en ligne au niveau local au Japon. SWI swissinfo.ch/Bruno Kaufmann

«La politique japonaise est dominée par des hommes plus âgés», explique celle qui figure désormais parmi les 35 femmes à diriger des communes sur les 1700 que compte le pays. Mais à 50 ans, Satoko Kishimoto est encore presqu’une benjamine au regard de l’âge moyen (67 ans) des responsables locaux. En vue des élections de 2026 à Suginami, elle souhaite introduire un système de type Smartvote à l’échelon local «pour mettre en relief les contenus des programmes, plus importants que les têtes et partis», dit-elle.  

S’appuyant sur des spécialistes comme l’équipe du professeur Airo Hino, mais aussi venant d’autres universités, les médias locaux, régionaux et nationaux proposent dorénavant lors de chaque scrutin une multitude d’outils d’assistance en ligne. «Voilà qui permet de comparer les forces et faiblesses de chacune de ces applications», observe Uwe Serdült, directeur du Digital Governance Systems Lab à Osaka, à 500 km au sud de Tokyo.  

Le Suisse Uwe Serdült (à droite), ici en conversation avec son collègue égyptien Shady Salama, dirige le « Digital Governance System Lab » à l'université Ritsumeikan d'Osaka.
Le Suisse Uwe Serdült (à droite), ici en conversation avec son collègue égyptien Shady Salama, dirige le « Digital Governance System Lab » à l’université Ritsumeikan d’Osaka. SWI swissinfo.ch/Bruno Kaufmann

Fondé il y a un an, ce laboratoireLien externe est le fruit d’une collaboration entre l’Université japonaise Ritsumeikan et le Centre pour la démocratie de l’Université de Zurich, basé à Aarau. «Nous étudions comment il est possible de rendre ces aides plus efficaces, transparentes et aussi moins influencées par le politique», explique-t-il. Selon lui, «les méthodes utilisées pour décrypter les déclarations des candidates et candidats, ainsi que celles de leurs partis, restent complexes et sont encore perçues parfois comme opaques pour les utilisatrices et utilisateurs. De quoi ébranler la confiance placée dans ces instruments». Son laboratoire s’échine donc à en développer d’autres dans le but de rendre par exemple le panel des questions plus compréhensible et transparent à tout moment.  

Pour lui et le professeur Aino Hino, le Japon constitue un cadre de travail approprié pour appliquer, analyser et développer des formes numériques de participation citoyenne. C’est une démocratie stable avec plusieurs partis et des scrutins fréquents. Et où, outre la présence d’applications de type Smartvote, le droit de lancer des pétitions et des initiatives existe aussi. À la mairie de Suginami, Satoko Kishimoto cite la Suisse en exemple. «Comme chez vous, j’aimerais beaucoup que les citoyennes et les citoyens de ma localité s’identifient davantage aux décisions politiques et à leurs conséquences, et qu’elles et ils en assument la coresponsabilité».  

Relu et vérifié par Mark Linvingston, traduit de l’allemand par Alain Meyer/kro

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